Qu'il est glorieux d'ouvrir une nouvelle carrière, et de paraîtretout-à-coup dans le monde savant, un livre de découvertes à la main,comme une comète inattendue étincelle dans l'espace!
Non, je ne tiendrai plus mon livre in petto; le voilà, messieurs,lisez. J'ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux joursautour de ma chambre. Les observations intéressantes que j'ai faites, etle plaisir continuel que j'ai éprouvé le long du chemin, me faisaientdésirer de le rendre public; la certitude d'être utile m'y a décidé. Moncœur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombreinfini de malheureux auxquels j'offre une ressource assurée contrel'ennui, et un adoucissement aux maux qu'ils endurent. Le plaisir qu'ontrouve à voyager dans sa chambre est à l'abri de la jalousie inquiètedes hommes; il est indépendant de la fortune.
Est-il en effet d'être assez malheureux, assez abandonné, pour n'avoirpas un réduit où il puisse se retirer et se cacher à tout le monde?Voilà tous les apprêts du voyage.
Je suis sûr que tout homme sensé adoptera mon système, de quelquecaractère qu'il puisse être, et quel que soit son tempérament; qu'ilsoit avare ou prodigue, riche ou pauvre, jeune ou vieux, né sous la zonetorride ou près du pôle, il peut voyager comme moi; enfin, dansl'immense famille des hommes qui fourmillent sur la surface de la terre,il n'en est pas un seul;—non, pas un seul (j'entends de ceux quihabitent des chambres) qui puisse, après avoir lu ce livre, refuser sonapprobation à la nouvelle manière de voyager que j'introduis dans lemonde.
Je pourrais commencer l'éloge de mon voyage par dire qu'il ne m'a riencoûté; cet article mérite attention. Le voilà d'abord prôné, fêté parles gens d'une fortune médiocre; il est une autre classe d'hommes auprèsde laquelle il est encore plus sûr d'un heureux succès, par cette mêmeraison qu'il ne coûte rien.—Auprès de qui donc? Eh quoi! vous ledemandez? C'est auprès des gens riches. D'ailleurs de quelle ressourcecette manière de voyager n'est-elle pas pour les malades? Ils n'aurontpoint à craindre l'intempérie de l'air et des saisons.—Pour lespoltrons, ils seront à l'abri des voleurs; ils ne rencontreront niprécipices, ni fondrières. Des milliers de personnes qui avant moin'avaient point osé, d'autres qui n'avaient pu, d'autres enfin quin'avaient pas songé a voyager, vont s'y résoudre à mon exemple. L'êtrele plus indolent hésiterait-il à se mettre en route avec moi pour seprocurer un plaisir qui ne lui coûtera ni peine ni argent?—Couragedonc, partons.—Suivez-moi, vous tous qu'une mortification de l'amour,une négligence de l'amitié, retiennent dans votre appartement, loin dela petitesse et de la perfidie des hommes. Que tous les malheureux, lesmalades et les ennuyés de l'univers me suivent!—Que tous les paresseuxse lèvent en masse!—Et vous qui roulez dans votre esprit des projetssinistres de réforme ou de retraite pour quelque infidélité; vous qui,dans un boudoir, renoncez au monde pour la vie; aimables anachorètesd'une soirée, venez aussi: quittez, croyez-moi, ces noires idées; vousperdez un instant pour le plaisir sans en gagner un pour la sagesse:daignez m'accompagner dans mon voyage; nous marcherons à petitesjournées, en riant, le long du chemin, des voyageurs qui ont vu Rome etParis;—auc