
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
A MA PETITE-FILLE
MARIE-THERÈSE DE SÉGUR
Chère petite, tu as longtemps attendu ton livre;c'est qu'il y avait bien des frères, des cousins, descousines, d'un âge plus respectable que le tien. Maisenfin, voici ton tour. JEAN QUI RIT te fera rire, je l'espère;je ne crains pas que JEAN QUI GROGNE te fassegrogner.
Ta grand'mère qui t'aime bien,
COMTESSE DE SÉGUR,
née ROSTOPCHINE
HÉLÈNE.
Voilà ton paquet presque fini, mon petit Jean, ilne reste plus à y mettre que tes livres.
JEAN.
Et ce ne sera pas lourd, maman; les voici.»
La mère prend les livres que lui présente Jeanet lit: Manuel du Chrétien; Conseils pratiques auxEnfants.
HÉLÈNE.
Il n'y en a guère, il est vrai, mon ami; mais ilssont bons.
JEAN.
Maman, quand je serai à Paris, je tâcherai devoir le bon prêtre qui a fait ces livres.
HÉLÈNE.
Et tu feras bien, mon ami; il doit être bon, celase voit dans ses livres. Et il aime les enfants, celase voit bien aussi.
JEAN.
Une fois arrivé à Paris et chez Simon, je n'auraiplus peur.
HÉLÈNE.
Il ne faut pas avoir peur non plus sur la route,mon ami. Qu'est-ce qui te ferait du mal? Et pourquoite causerait-on du chagrin?
JEAN.
C'est qu'il y a des gens qui ne sont pas bons,maman; et il y en a d'autres qui sont même mauvais.
HÉLÈNE.
Je ne dis pas non; mais tu ne seras pas le premierdu pays qui auras été chercher ton pain et lafortune à Paris; il ne leur est pas arrivé malheur;pas vrai? Le bon Dieu et la sainte Vierge ne sont-ilspas là pour te protéger?
JEAN.
Aussi je ne dis pas que j'aie peur, allez; je disseulement qu'il y a des gens qui ne sont pas bons;c'est-il pas une vérité, ça?
HÉLÈNE.
Oui, oui, tout le monde la connaît, cette vérité.Mais tu ne veux pas pleurer en partant, tout demême! Je ne veux pas que tu pleures.
JEAN.
Soyez tranquille, mère; je m'en irai bravementcomme mon frère Simon, qui est parti sans seulementtourner la tête pour nous regarder. Voilà quej'ai bientôt quatorze ans. Je sais bien ce que c'estque le courage, allez. Je ferai comme Simon.
HÉLÈNE.
C'est bien, mon enfant; tu es un bon et bravegarçon! Et le cousin Jeannot? Va-t-il venir ce soirou demain matin?
JEAN.
Je ne sais pas, maman; je ne l'ai guère vu cestrois derniers jours.
HÉLÈNE.
Va donc voir chez sa tante s'il est prêt pourpartir demain de grand matin.»
Jean partit lestement. Hélène resta à la porte etle regarda marcher: quand elle ne le vit plus, ellerentra, joignit les mains avec un geste de désespoir,tomba à genoux et s'écria d'une voix entrecoupéepar ses larmes:
«Mon enfant, mon petit Jean chéri? Lui aussidoit partir, me quitter! Lui aussi va courir milledangers dans ce long voyage! mon enfant, moncher enfant!... Et je dois lui cacher mon chagrin etmes larmes pour ranimer son courage. Je dois paraîtreinsensible à son absence, quand mon coeurfrémit d'inquiétude et de douleur! Pauvre, pauvreenfant! La misère m'oblige à l'envoyer à son frère.Dieu de bonté, protégez-le! Marie, mère de misérico