Dans le premier volume de ces Mémoires j'ai tenté de retracer lesprincipaux événements de la vie de ma grand'mère, et j'ai raconté lescirconstances qui l'ont décidée à récrire le manuscrit malheureusementbrûlé en 1815. Il m'a paru nécessaire, pour que ses opinions fussentjustement comprises et appréciées, d'expliquer comment elle avait étéélevée, quels étaient ses parents, pour quelles raisons elle était venueà la cour, par quels enthousiasmes, quelles espérances, quelsdésenchantements elle avait passé; comment peu à peu des opinions plusprécises et plus libérales l'avaient envahie, et quelle influence sonfils, arrivant à la vie du monde et de la politique, avait exercée surelle. Quelle que soit sa confiance dans le succès d'une publication,l'éditeur doit mettre toutes les chances de son côté, et tout expliquer,pour être sûr, ou à peu près, que tout soit compris. C'était d'autantplus nécessaire cette fois, qu'élevé dans les mêmes sentiments, habituéà voir les mêmes opinions et les mêmes anecdotes reproduites autour delui, sous des formes analogues, cet éditeur pouvait craindre de setromper sur la valeur ou le succès de ces souvenirs. Les parentsapprécient malaisément l'esprit ou les traits de leurs proches. Beautésou génies de famille, de coterie ou de coin du feu, s'effacent ous'atténuent parfois au grand jour. Il était donc sage d'expliquer avecsoin tout ce qui pouvait instruire le lecteur, le faire pénétrer dans lavie intime de l'auteur, et justifier celui-ci sur ce mélange, parfoiscontradictoire, d'admiration et de sévérité. Il eût été naturel d'yjoindre une appréciation du talent de l'écrivain et du caractère de sonhéros. C'est là sans doute l'objet d'une préface véritable, qui,dit-on, doit précéder tout ouvrage sérieux. Mais cette préface, je mesuis bien gardé de l'écrire, me réservant de donner celle qui, pour lepublic comme pour moi, rehausse le prix de l'ouvrage tout entier. Monpère l'avait faite, il y a plus de vingt ans, et je la puis imprimer,maintenant que le succès a justifié ses prévisions et nos espérances.
Quand mon père écrivait les pages qu'on va lire, le second empire duraitencore, et rien ne semblait en menacer l'existence. Pour en croire lachute possible ou probable, il fallait une confiance persistante dansles principes inéluctables de justice et de liberté. Depuis, les tempsse sont accomplis, et les événements ont marché plus vite qu'on ne lepouvait prévoir. Les mêmes fautes ont amené les mêmes revers. La penséeindécise et obscure de Napoléon III l'a conduit où s'est perdu le géniebrillant et ferme du grand empereur. Mon père a pu revoir pour latroisième fois l'étranger dans Paris, et la France vaincue cherchantdans la liberté une consolation à la défaite. Il a souffert de nosmalheurs, comme il en souffrait cinquante ans plus tôt, et il a eu lecruel honneur d'en réparer une partie, de hâter le jour où notre solserait définitivement délivré. Il a enfin contribué à fonder sur tant deruines un gouvernement libre et populaire. Ni les dernières années del'Empire, ni la guerre, ni la Commune, ni l'avènement de la République,si difficile à travers les partis, n'avaient changé ses convictions, etil penserait aujourd'hui comme il écrivait il y a vingt-deux an