Une file de voitures rangées devant le double portiquede l'ancien hôtel de Brissac, devenu aujourd'huila mairie du Palais-Bourbon, provoquait lacuriosité des passants qui savaient lire les armoiriespeintes sur leurs panneaux, ou simplement les couronnesestampées sur le cuivre et l'argent des harnais:—couronnediadémée et sommée du globecrucifère des princes du Saint-Empire, couronnerehaussée de fleurons des ducs, couronne des marquiset couronne des comtes.
—Un grand mariage.
Mais à regarder de près, rien n'annonçait ce grandmariage: ni fleurs dans la cour, ni plantes dans levestibule, ni tapis dans les escaliers; comme entemps ordinaire, le va-et-vient continuel des gensqui montaient aux bureaux de l'état-civil ou à lajustice de paix, dont c'était le jour de conciliationsur billets d'avertissement et de conseils de famille.
Au haut de l'escalier, dans le grand vestibule dupremier étage et dans les étroits corridors du greffe,ceux qui étaient appelés pour les conciliations etpour les conseils de famille attendaient pêle-mêle;de temps en temps un secrétaire appelait des nomset des gens entraient tandis que d'autres sortaientdans l'escalier à double révolution. C'était un murmurede voix qui continuaient les discussions quela conciliation du juge de paix n'avait pas apaisées.
Le secrétaire cria:
—Les membres du conseil de famille de la princessede Chambrais sont-ils tous arrivés?
Alors il se fit un mouvement dans un groupe composéde six hommes, d'une dame et d'une jeune fillequi attendaient dans un coin, et qu'à leur tenue, autantqu'à leur air de n'être pas là, il était impossiblede confondre avec les gens de toutes classes qui encombraientla salle.
—Oui, répondit une voix.
—Veuillez entrer.
—Mon oncle, dit la jeune fille en s'adressant àcelui qui venait de répondre, lady Cappadoce demandesi elle doit nous accompagner.
—Ma foi, je n'en sais rien.
—Puisque c'est le conseil de la famille, dit ladyCappadoce d'un air de regret et avec une intonationbizarre formée de l'accent anglais mêlé à l'accentmarseillais, je suppose qu'il est mieux que je resteici.
—Probablement. Veuillez donc nous attendre.Prends mon bras, mignonne.
Tandis que les membres du conseil de famille suivaientle secrétaire, lady Cappadoce, restée seuledebout au milieu de la salle, regardait autour d'elle.
—Si madame veut en user, dit un tonnelier quicausait avec un croque-mort assis à côté de lui sur unbanc, on peut lui faire une petite place.
—Merci.
—Où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir. C'estde bon coeur.
Elle s'éloigna outragée dans sa dignité de lady quecet individu en tablier se permît cette familiarité, suffoquéedans sa pudibonderie anglaise qu'il lui proposâtune pareille promiscuité; et elle se mit à marcherd'un grand pas mécanique, les mains appliquées surses hanches plates, les yeux à quinze pas devant elle.
Pendant ce temps le conseil de famille était entrédans le cabinet du juge de paix.
La ligne paternelle à droite de la cheminée, ditle secrétaire en indiquant des fauteuils, la ligne maternelleà gauche.
Prenant une feuille de papier, il appela à demi-voix:
—Ligne paternelle: M. le comte de Chambrais,oncle et tuteur; M. le duc de Charment, cousin; M.le comte d'Ernauld, cousin. Et mademoiselle? demanda-t-ile