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[Transcriber's note: Gustave FLAUBERT (1821-1880),Un coeur simple, 1877, édition de 1910]

OEUVRES COMPLETES

DE
GUSTAVE FLAUBERT

(…)

UN COEUR SIMPLE

(…)

PARIS

LOUIS CONARD, LIBRAIRE-EDITEUR
17, BOULEVARD DE LA MADELEINE, 17
MDCCCCX

(…)

UN COEUR SIMPLE

I

Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont l'Evêqueenvièrent à Mme Aubain sa servante Félicité.

Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage,cousait, lavait, repassait, savait brider un cheval,engraisser les volailles, battre le beurre, et resta fidèle àsa maîtresse, — qui cependant n'était pas une personneagréable.

Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort aucommencement de 1809, en lui laissant deux enfants très jeunesavec une quantité de dettes. Alors elle vendit ses immeubles,sauf la ferme de Toucques et la ferme de Geffosses, dont lesrentes montaient à 5, 000 francs tout au plus, et elle quittasa maison de Saint-Melaine pour en habiter une autre moinsdispendieuse, ayant appartenu à ses ancêtres et placéederrière les halles.

Cette maison, revêtue d'ardoises, se trouvait entre un passageet une ruelle aboutissant à la rivière. Elle avaitintérieurement des différences de niveau qui faisaienttrébucher. Un vestibule étroit séparait la cuisine de la salleoù Mme Aubain se tenait tout le long du jour, assise près dela croisée dans un fauteuil de paille. Contre le lambris,peint en blanc, s'alignaient huit chaises d'acajou. Un vieuxpiano supportait, sous un baromètre, un tas pyramidal deboîtes et de cartons. Deux bergères de tapisserie flanquaientla chemisée en marbre jaune et de style Louis XV. La pendule,au milieu, représentait un temple de Vesta, — et toutl'appartement sentait un peu le moisi, car le plancher étaitplus bas que le jardin.

Au premier étage, il y avait d'abord la chambre de "Madame",très grande, tendue d'un papier à fleurs pâles, et contenantle portrait de "Monsieur" en costume de muscadin. Ellecommuniquait avec une chambre plus petite, où l'on voyait deuxcouchettes d'enfants, sans matelas. Puis venait le salon,toujours fermé, et rempli de meubles recouverts d'un drap.Ensuite un corridor menait à un cabinet d'études; des livreset des paperasses garnissaient les rayons d'une bibliothèqueentourant de ses trois côtés un large bureau de bois noir. Lesdeux panneaux en retour disparaissaient sous des dessins à laplume, des paysages à la gouache et des gravures d'Audran,souvenirs d'un temps meilleur et d'un luxe évanoui. Unelucarne au second étage éclairait la chambre de Félicité,ayant vue sur les prairies.

Elle se levait dès l'aube, pour ne pas manquer la messe, ettravaillait jusqu'au soir sans interruption; puis, le dînerétant fini, la vaisselle en ordre et la porte bien close, elleenfouissait la bûche sous les cendres et s'endormait devantl'âtre, son rosaire à la main. Personne, dans lesmarchandages, ne montrait plus d'entêtement. Quant à lapropreté, le poli de ses casseroles faisait le désespoir desautres servantes. Econome, elle mangeait avec lenteur, etrecueillait du doigt sur la table les miettes de son pain, —un pain de douze livres, cuit exprès pour elle, et qui duraitvingt jou

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