LE SERMENT
DES
HOMMES ROUGES

AVENTURES D'UN ENFANT DE PARIS



PAR

LE Vicomte PONSON DU TERRAIL

TOME I

1879




PROLOGUE

AMIS ET RIVAUX



I

LE DUEL IMPROVISÉ

Un soir de janvier de l'année 1746, il y avaitbal à l'Opéra.

—Toute la cour y sera, s'était dit madame Toinon,costumière et loueuse d'habits, qui logeaitdans la rue des Jeux-Neufs, aujourd'hui des Jeûneurs,à l'enseigne de la Batte d'Arlequin.

Et elle avait ajouté:

—Allons, Tony, fais tes préparatifs, tu m'yconduiras. Je t'habillerai en gentilhomme.

—Et vous, patronne, comment serez-vous?

—Je me mettrai en marquise.

—Avec des mouches?

—Mais dame!

—Et des paniers?

—Comme ça!...

Et mame Toinon arrondit ses deux bras en leséloignant le plus possible de son corps, de façonà témoigner de l'ampleur de ses futurs paniers.

Or mame Toinon était une jolie brune, accorteet souriante, qui n'avait guère plus de trente-quatreans, en paraissait vingt-huit tous les soirs,et était la coqueluche de son quartier. Mame Toinonétait veuve; elle n'avait pas d'enfant et n'avaitpas voulu se remarier.

Mais elle avait trouvé un matin, sur le seuilde sa porte, un pauvre petit garçon de huit ansqui grelottait et pleurait, et elle l'avait recueilli.

L'enfant abandonné ne savait ni le nom de sonpère, ni celui de sa mère; il savait seulementqu'on l'appelait Tony.

Il paraissait avoir éprouvé un violent effroi quilui avait fait perdre la mémoire.

Tout ce que mame Toinon en put tirer, c'estque des hommes masqués avaient voulu le tuer.

La costumière prit l'enfant chez elle et l'adopta.

A partir de ce moment, elle ne songea plus à seremarier, et les mauvaises langues de son quartierprétendirent que l'enfant recueilli était sonfils, un péché mignon de première jeunesse dontle mari n'avait jamais rien su. Or, à l'époque oùcommence cette histoire, Tony avait à peine seizeans, mais il était grand et fort, admirablementbien pris et d'une charmante figure, pleine demalice et d'esprit.

On ne l'appelait dans la rue que le beau commisà mame Toinon.

—Ainsi, vous allez au bal? demanda-t-il à samère d'adoption.

—Tiens, pourquoi pas? répondit-elle en se jetantun coup d'oeil passablement admirateur dansla petite glace placée au-dessus du comptoir. Je nesuis pas encore trop déchirée pour une femme detrente-quatre ans, et je pense que la poudre neva pas toujours aussi bien à de véritables marquises.

Puis mame Toinon, qui, on le voit, n'était pasprécisément la modestie en personne, regarda duhaut en bas son commis.

—Et toi, dit-elle, mon petit, sais-tu que tu serascharmant avec ce bel habit bleu de ciel à paillettes,cette veste rouge et cette culotte de satinblanc, que j'ai fait faire dernièrement pour ce gentilhommede province?...

—Ah! oui, dit Tony, et qui vous a laissé le toutpour compte, sous prétexte que vous ne vouliezpas lui faire crédit?

—Justement.

—Et vous croyez que cela m'ira?

—A ravir.

Tony, à son tour, se mira dans la glace et nefut pas trop désolé de l'examen.

—Tu seras à croquer, ajouta mame Toinon, enfixant sur son fils adoptif des regards qui n'étaientpeut-être pas très maternels.

—Faudra-t-il me faire poudrer?

—Mais sans doute.

—Et à quelle heure irons-nous?

—Tout au commencement. A minuit. Tu meferas danser, j'imagine?

—C'est que je ne sais pas trop bien.

—Bah! Je te mont

...

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