La Comtesse de Ségur

LE GÉNÉRAL DOURAKINE




A ma petite-fille
JEANNE DE PITRAY

Ma chère petite Jeanne, je t'offre mon dixième ouvrage, parce que tu esma dixième petite-fille, ce qui ne veut pas dire que tu n'aies que ladixième place dans mon coeur. Vous y êtes tous au premier rang, parla raison que vous êtes tous de bons et aimables enfants. Tes frèresJacques et Paul m'ont servi de modèles dans l'Auberge de l'Ange-gardien,pour Jacques et Paul Dérigny. Leur position est différente, mais leursqualités sont les mêmes. Quand tu seras plus grande, tu me serviraspeut-être de modèle à ton tour, pour un nouveau livre, où tu trouverasune bonne et aimable petite Jeanne.

Ta grand'mère,

COMTESSE DE SÉGUR,
née Rostopchine.



I

DE LOUMIGNY A GROMILINE

Le général Dourakine s'était mis en route pour la Russie, accompagné,comme on l'a vu dans l'Auberge de l'Ange-gardien, par Dérigny, sa femmeet ses enfants, Jacques et Paul. Après les premiers instants de chagrincausé par la séparation d'avec Elfy et Moutier, les visages s'étaientdéridés, la gaieté était revenue, et Mme Dérigny, que le général avaitplacée dans sa berline avec les enfants, se laissait aller à son humeurgaie et rieuse. Le général, tout en regrettant ses jeunes amis, dont ilavait été le généreux bienfaiteur, était enchanté de changer de place,d'habitudes et de pays. Il n'était plus prisonnier, il retournait enRussie, dans sa patrie; il emmenait une famille aimable et charmante quitenait de lui tout son bonheur, et dans sa satisfaction il se prêtait àla gaieté des enfants et de leur mère adoptive. On s'arrêta peu dejours à Paris; pas du tout en Allemagne; une semaine seulement àSaint-Pétersbourg, dont l'aspect majestueux, régulier et sévère ne plutà aucun des compagnons de route du vieux général; deux jours à Moscou,qui excita leur curiosité et leur admiration. Ils auraient bien vouluy rester, mais le général était impatient d'arriver avant les grandsfroids dans sa terre de Gromiline, près de Smolensk, et, faute de cheminde fer, ils se mirent dans la berline commode et spacieuse que legénéral avait amenée depuis Loumigny, près de Domfront. Dérigny avaitpris soin de garnir les nombreuses poches de la voiture et du siège deprovisions et de vins de toute sorte, qui entretenaient le bonne humeurdu général. Dès que Mme Dérigny ou Jacques voyaient son front seplisser, sa bouche se contracter, son teint se colorer, ils proposaientun petit repas pour faire attendre ceux plus complets de l'auberge. Cemoyen innocent ne manquait pas son effet; mais les colères devenaientplus fréquentes; l'ennui gagnait le général; on s'était mis en route àsix heures du matin; il était cinq heures du soir; on devait dîner etcoucher à Gjatsk, qui se trouvait à moitié chemin de Gromiline, et l'onne devait y arriver qu'entre sept et huit heures du soir.

Mme Dérigny avait essayé de l'égayer, mais cette fois, elle avaitéchoué. Jacques avait fait sur la Russie quelques réflexions quidevaient être agréables au général, mais son front restait plissé, sonregard était ennuyé et mécontent; enfin ses yeux se fermèrent, et ils'endormit, à la grande satisfaction de ses compagnons de route.

Les heures s'écoulaient lentement pour eux; le général Dourakinesommeillait toujours. Mme Dérigny se tenait près de lui dans uneimmobilité complète. En face étaient Jacques et Paul, qui ne dormaientpas et qui s'ennuyaient. Paul bâillait; Jacques étouffait avec sa mainle bruit des bâillements de son frère. Mme Dérigny souriait et leurfaisait des chut à voix basse. Paul voulut parler; les chut de MmeDérigny et les efforts de Jacques, entremêlés de rires comprimés,devinrent si fréquents et si prononcés que le général s'éveilla.

«Quoi? qu'est-ce

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