[Extrait des Œuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, tome quatrième, Paris, Garnier Frères, 1875.]

L'OISEAU BLANC

CONTE BLEU

(Écrit vers 1748.—Publié en 1798.)

Ce conte est de la même époque que les Bijoux indiscrets. Lesmêmes personnages s'y retrouvent, mais la licence y est beaucoupmoindre. Il resta inconnu jusqu'à la publication qu'en fit Naigeon dansson édition des Œuvres de Diderot en 1798. C'était lui que cherchaitM. Berrier, le lieutenant de police, quand Mme Diderot lui réponditqu'elle ne connaissait de son mari «ni pigeon noir, ni pigeon blanc,» etque d'ailleurs elle ne le croyait pas capable d'attaquer le roi, comme onl'en accusait à l'occasion de ce conte. On jugera si la femme du philosopheavait raison. Pour nous, il ne nous paraît y avoir là, comme dansles Bijoux, que des rapprochements trop vagues entre Mangogul etLouis XV, pour permettre de soutenir une opinion qui rendrait criminelstous les romans du XVIIIe siècle aussi bien que toutes les féeries du XIXe.Il faut toujours qu'il arrive un moment, dans l'histoire des peuples, où,la civilisation se répandant, le principe d'autorité se montre sous sonvrai jour. On s'aperçoit alors que les rois sont des hommes, et quandune fois tout le monde le sait, les écrivains qui le disent, ne faisant plusque broder un lieu commun, n'ont ni mérite ni démérite: ils n'ontqu'un peu plus ou un peu moins d'esprit.

Nous pensons n'avoir pas besoin d'expliquer au lecteur l'allégorie del'Oiseau blanc; ils l'apercevront, sans aucun doute, avant la Sultane.

L'OISEAU BLANC

CONTE BLEU

TABLE.

PREMIÈRE SOIRÉE.

La favorite se couchait de bonne heure et s'endormait forttard. Pour hâter le moment de son sommeil, on lui chatouillaitla plante des pieds et on lui faisait des contes; et pourménager l'imagination et la poitrine des conteurs, cette fonctionétait partagée entre quatre personnes, deux émirs et deuxfemmes. Ces quatre improvisateurs poursuivaient successivementle même récit aux ordres de la favorite. Sa tête étaitmollement posée sur son oreiller, ses membres étendus dansson lit et ses pieds confiés à sa chatouilleuse, lorsqu'elle dit:«Commencez;» et ce fut la première de ses femmes qui débutapar ce qui suit.

LA PREMIÈRE FEMME.

Ah! ma sœur, le bel oiseau! Quoi! vous ne le voyez pasentre les deux branches de ce palmier passer son bec entre sesplumes et parer ses ailes et sa queue? Approchons doucement;peut-être qu'en l'appelant il viendra; car il a l'air apprivoisé,«Oiseau mon cœur, oiseau mon petit roi, venez, ne craignezrien; vous êtes trop beau pour qu'on vous fasse du mal. Venez;une cage charmante vous attend; ou si vous préférez la liberté,vous serez libre.»

L'oiseau était trop galant pour se refuser aux agaceries dedeux jeunes et jolies personnes. Il prit son vol et descenditlégèrement sur le sein de celle qui l'avait appelé. Agariste,c'était son nom, lui passant sur la tête une main qu'elle laissaitglisser le long de ses ailes, disait à sa compagne: «Ah! masœur, qu'il est charmant! Que son plumage est doux! qu

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