LE SAGE ET SES AMIS

RÉMY DE GOURMONT

LES FEMMES
ET
LE LANGAGE

A
PARIS
CHEZ MADAME LESAGE

La part des femmes est si grande dansl'œuvre de la civilisation qu'il serait àpeine exagéré de dire que l'édifice est bâtisur les épaules de ces frêles cariatides.

Les femmes savent des choses qui n'ontjamais été écrites ni enseignées, et sanslesquelles presque tout le matériel de notrevie quotidienne serait inutilisable.

Des cosaques, en 1814, ayant découvertune provision de bas, les enfilèrent immédiatementpar dessus leurs bottes : exemplegénéral de nos gestes les plus communs, siles femmes n'avaient pas été dans les sièclesles patientes éducatrices de l'enfance.

Ce rôle est si naturel qu'il en paraîthumble ; nous ne sommes frappés que parl'extraordinaire.

Le puissant outillage d'un tissage noussubjugue ; qui a jamais regardé avec émotionle simple jeu de deux aiguilles à tricoter?

Cependant, comparé à ces petits morceauxde bois, le plus formidable métiermécanique n'est plus rien ; il représenteune civilisation particulière : les aiguilles debois ou de fer représentent la civilisationabsolue.

Il faut en tout distinguer l'essentiel et cequi est de surcroît. Dans la civilisation lapart des femmes représente l'essentiel.

Cela est plus facile à sentir qu'à prouver,car il s'agit précisément des actes quipassent inaperçus le long de la vie, detoutes sortes de choses dont on ne parlepas parce qu'on ne les voit pas ou parcequ'on n'en comprend pas l'importance.Ainsi la physiologie a été longtemps ignoréetandis que la curiosité se portait auxmonstres ; le phénomène continu disparaîtpour nos sens.

Ce fut un citadin ou un prisonnier ouun aveugle soudain guéri qui s'avisa lepremier de la beauté de la nature. Il y aune psychologie extérieure qui disparaîtdans l'habitude ; analysée, elle révèle lesactes volontaires les plus importants de lavie. Volontaires, c'est à dire contingentsrelativement aux mouvements primordiauxde la vie d'une espèce ; volontaires, en cequ'ils ont de particulier pour signaler unerace ; volontaires, si l'on regarde la volontécomme la conscience d'un effort inconscient.

Sens ou faculté, la parole ne peut logiquementêtre séparée de l'ouïe, mais l'éducationde l'ouïe est beaucoup moins sensibleque celle de l'appareil vocal ; on peut doncles considérer séparément, ou du moinssans observer un ordre précis en des acquisitionsqui sont enchevêtrées comme tousles jeux de la vie. Remuer, entendre, voir,parler, tout cela se tient ; l'imitation se jetteà la fois sur toutes les fonctions, quoiqu'onpuisse établir un ordre de naissanceappréciable pour chacune d'elles. Cetordre importe peu en une étude où ils'agit non de l'intelligence qui reçoit, maisde l'intelligence qui donne, de l'extérieur,et non de la vie psychologique interne.

La parole est féminine. Les poètes et lesorateurs sont des féminins. Parler, c'estfaire œuvre de femme. La femme, parcequ'elle parle comme chante un oiseau, estseule capable d'enseigner le langage quandl'enfant tente d'imiter les sons qu'il a entendus,la femme est là qui le regarde, luisourit et l'encourage ; il s'établit un contratmuet de travail entre ces deux êtres, etque de patience chez celui qui sait pourguider celui qui essaie! Les premiers motsque prononce un enfant ne correspondenten son esprit à aucun objet, àaucune sensation ; l'enfant, à ce momentde sa vie, est un perroquet, et rien de plus.Il imite ; il parle parce qu'il entend parler.Si on se taisait autour de lui, la paroleresterait figée dans son cerveau. De làl'importance du babillage de la femme,importance bie

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