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LE NÉGRIER

AVENTURES DE MER.
PAR
ÉDOUARD CORBIÈRE DE BREST.
DEUXIÈME ÉDITION

VOLUME IV

PARIS, A.-J. DÉNAIN ET DELAMARE, ÉDITEURS DE L'HISTOIRE DE L'EXPÉDITION FRANÇAISE EN ÉGYPTE 16. RUE VIVIENNE.

1854

13.

DÉVOUEMENT DE ROSALIE.

La fièvre jaune.—Soins de Rosalie.—Commerce.—Chute du gouvernementimpérial.

Mon affaissement moral, le dégoût de la vie, des nuits sans sommeilet des jours accablans allumèrent bientôt; dans mon sang irritécette affreuse maladie que les affections de l'âme tendent surtout àdévelopper dans ces climats funeste.

Je vis arriver la fièvre jaune sans effroi. A la nouvelle de monindisposition, le médecin qui avait donné ses soins à Ivon accourutprès de moi, malgré le nombre excessif des malades entre lesquels il separtageait.

—Eh bien! qu'avons-nous donc, Léonard? Est-ce que nous aurions envied'être malade?

—Docteur, je crois que me voilà pris à mon tour.

—Voyons votre pouls…. Vous vous sentez des douleurs aux reins, ungrand mai de tête, une débilité générale?

—Oui, je me sens tout cela, et je m'en moque.

—Et vous avez raison; car votre état n'a rien de bien inquiétantencore, et c'est déjà fort bon signe que vous ne vous en alarmiez pas.

—M'alarmer! et pourquoi, s'il vous plaît? Ne faut-il pas mourir tôtou tard? J'avais bien quelques petits projets en tête: des courses, desaventures à chercher, des mers à battre par-ci par-là; mais, s'il fautrenoncer à toutes ces belles idées, mon parti sera bientôt pris,allez! Emparez-vous de mon individu, je vous l'abandonne. Taillez-le,saignez-le, couvrez-le d'emplâtres et de sangsues, si bon vous semblecela ne me regarde plus. Bien portant, je suis tout à moi; malade, jevous appartiens.

* * * * *

Je me couchai. Des mulâtresses du voisinage entourèrent aussitôt monlit, et commencèrent par me frotter, de la tête aux pieds, avec descitrons macérés. Dans la nuit, je perdis l'usage de ma raison.

Trois ou quatre jours se passèrent sans que je pusse recouvrer un seulmoment lucide. Mes yeux, à travers le nuage qui les fatiguait, voyaientbien des femmes, un homme noir errer autour de moi; mais tous lesobjets me paraissaient renversés, et je ne les apercevais que comme cesfantômes que J'imagination effrayée se crée dans un songe pénible. Lessouvenirs qui m'étaient le plus chers se reproduisaient quelquefoisà mon esprit, dans ces momens d'exaltation cérébrale. Je nommais, jevoyais mon frère, ma mère, Ivon et Rosalie: quelquefois il me semblaitleur parler, les entendre, et sentir ma bouche desséchée se contractersous celle de la seule femme que j'eusse aimée. Ma main fébrilecherchait la sienne pour se reposer, et quand je croyais l'a

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