CENT VINGT-QUATRIÈME MILLE
PARIS
BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11
A
MONSIEUR JULES HURET
Mon cher ami,
En tête de ces pages, j'ai voulu, pour deux raisonstrès fortes et très précises, inscrire votre nom.D'abord, pour que vous sachiez combien votre nomm'est cher. Ensuite,—je le dis avec un tranquilleorgueil,—parce que vous aimerez ce livre. Et celivre, malgré tous ses défauts, vous l'aimerez, parceque c'est un livre sans hypocrisie, parce que c'est dela vie, et de la vie comme nous la comprenons,vous et moi... J'ai toujours présentes à l'esprit, moncher Huret, beaucoup des figures, si étrangementhumaines, que vous fîtes défiler dans une longuesuite d'études sociales et littéraires. Elles me hantent.C'est que nul mieux que vous, et plus profondémentque vous, n'a senti, devant les masqueshumains, cette tristesse et ce comique d'être unhomme... Tristesse qui fait rire, comique qui faitpleurer les âmes hautes, puissiez-vous les retrouverici...
Octave Mirbeau
Mai 1900.
Ce livre que je publie sous ce titre: Le Journald'une femme de chambre a été véritablementécrit par Mlle Célestine R..., femme de chambre.Une première fois, je fus prié de revoir le manuscrit,de le corriger, d'en récrire quelques parties.Je refusai d'abord, jugeant non sans raison que,tel quel, dans son débraillé, ce journal avait uneoriginalité, une saveur particulière, et que je nepouvais que le banaliser en «y mettant du mien».Mais Mlle Célestine R... était fort jolie... Elleinsista. Je finis par céder, car je suis homme, aprèstout...
Je confesse que j'ai eu tort. En faisant ce travailqu'elle me demandait, c'est-à-dire en ajoutant,çà et là, quelques accents à ce livre, j'ai bienpeur d'en avoir altéré la grâce un peu corrosive,d'en avoir diminué la force triste, et surtout d'avoirremplacé par de la simple littérature ce qu'il yavait dans ces pages d'émotion et de vie...
Ceci dit, pour répondre d'avance aux objectionsque ne manqueront pas de faire certains critiquesgraves et savants... et combien nobles!...
O. M.
14 septembre.
Aujourd'hui, 14 septembre, à trois heures del'après-midi, par un temps doux, gris et pluvieux,je suis entrée dans ma nouvelle place. C'est ladouzième en deux ans. Bien entendu, je ne parlepas des places que j'ai faites durant les annéesprécédentes. Il me serait impossible de les compter.Ah! je puis me vanter que j'en ai vu desintérieurs et des visages, et de sales âmes... Etça n'est pas fini... A la façon, vraiment extraordinaire,vertigineuse, dont j'ai roulé, ici et là, successivement,de maisons en bureaux et de bureauxen maisons, du Bois de Boulogne à la Bastille, del'Observatoire à Montmartre, des Ternes auxGobelins, partout, sans pouvoir jamais me fixernulle part, faut-il que les maîtres soient difficilesà servir maintenant!... C'est à ne pas croire.
L'affaire s'est traitée par l'intermédiaire desPetites Annonces du Figaro et sans que je voieMadame. Nous nous sommes écrit des lettres, ç'aété tout: moyen chanceux où l'on a souvent, depart et d'autre, des surprises. Les lettres deMadame sont bien écrites, ça c'est vrai. Mais ellesrévèlent un caractère tatillon et méticuleux...Ah! il lui en faut des explications et des commentaires,et des pourquoi, et des parce que... Je nesais s