


Rien a faire! inscrivit Mérimée en tête du premier feuillet, lorsqueColomb lui porta les volumes manuscrits de Lucien Leuwen. Et Colombles envoya chez Crozet à Grenoble, où celui-ci les déposa à labibliothèque de la ville. Ils y étaient depuis cinquante ans(1812-1892), lorsque les récentes exhumations de M. CasimirStriyenski—qu'il faut louer hautement pour ses nobles et littérairesefforts—comme aussi—pourquoi ne pas l'avouer?—l'idéed'apporter à M. Maurice Barrés quelques éléments nouveaux d'unesensibilité qu'il a si merveilleusement définie—et qu'il est leseul, du reste, à avoir définie—nous amenèrent à tenter cetteentreprise dont Mérimée et Colomb avaient reconnu l'impossibilité. C'étaitassurément téméraire. Mais il est certain que si, dès les premières pages,nous avions pu prévoir les difficultés sans nombre survenues au cours dutravail de restitution, nous eussions peut-être, malgré notre piétéstendhalienne, volontiers laissé à d'autres, plus dévoués, le soin dedéchiffrer les cinq gros volumes manuscrits dont se compose LucienLeuwen. Non seulement à cette époque de sa vie—1834—l'écriturede Beyle devient matériellement illisible, mais encore, à la difficulté delire le texte, s'ajoutent les ratures, les surcharges—survenant àchaque ligne—les renvois, les annotations jetées en travers despages; les phrases disposées les unes sur les autres; les réflexionsétrangères à l'objet du livre: notes sur l'état de sa santé, sur le prixdes médicaments, sur les résultats de telles liaisons contractées laveille, etc.; les dates interverties à plaisir, les noms propresdéfigurés; le numérotage défectueux des feuillets, éparpillés à l'aventuredes cahiers, et dû, sans doute, à l'ignorance du relieur chargé de lesréunir, etc. Et à tout cela, à toutes ces entraves nécessitant déjà unepatience et un effort incessants, venait s'ajouter une nouvelledifficulté, plus grande encore et d'un genre différent, il est vrai, maisaussi caractéristique du labeur auquel Stendhal voulait condamner sonexécuteur testamentaire. La majeure partie du roman est consignée dans unvocabulaire secret, dans une sorte d'alphabet conventionnel, dont ilserait peut-être curieux de donner le détail, si Beyle—alorsdiplomate—n'avait pris le soin d'en changer souvent la clef,c'est-à-dire la manière de disposer les lettres, les phrases, les dates,de désigner les localités et les personnages.
Nous avons insisté à dessein sur cette obscurité matérielle du textemanuscrit: elle explique pourquoi l'œuvre que nous présentons aujourd'huiau public est restée si longtemps ignorée, et pourquoi les différentsbibliographes de Stendhal—en exceptant M. Striyenski qui, lui, afait besogne utile—se sont bornés à citer l'appréciation deMérimée.
«Lucien Leuwen» fut commencé en 1831 à Civita-Vecchia, et terminé àRome, en 1836. Il prend date entre: Le Rouge et le Noir (1831) etLa Chartreuse de Parm