LES MISÈRES
DE LONDRES

IV



LES TRIBULATIONS DE SHOKING

PAR


PONSON DU TERRAIL




UN DRAME DANS LE SOUTHWARK




I


Le lendemain du jour où miss Ellen s'en allaitchez le révérend Peters Town; tandis quel'homme gris s'esquivait, au beau milieu deWhite Hall, et à deux pas de Scotland Yard, lequartier général de la police, une scène toutedifférente se passait sur la Tamise.

Un homme descendait au long de la gare deCharing cross, dans ce chemin creux forméavec des planches et qui conduit à l'un des embarcadèresdes bateaux à vapeur, vers neuf heuresdu soir.

Cet homme n'était autre que Shoking; maisShoking fort bien vêtu et que tout le monde eûtpris sinon pour un lord, au moins pour un gentleman.

Les bateaux à vapeur marchent assez avantdans la soirée, jusqu'à dix ou onze heures; iln'y a que ceux qui descendent jusqu'à Greenwichqui cessent leur service dès sept heures enété et dès cinq heures en hiver.

Cependant, comme la nuit était froide, lesvoyageurs étaient peu nombreux sur le pontond'embarquement.

Deux femmes et un homme s'y trouvaientseuls lorsque Shoking arriva.

On entendait siffler le penny-boat qui étaitencore de l'autre côte de Westminster, et donton apercevait le panache noir à travers le brouillard.

Shoking était chaudement enveloppé dans unwaterproof tout neuf.

Néanmoins, il soufflait dans ses doigts etpoussait de temps en temps des brrr! pleins d'énergie.

Une des deux femmes qui se trouvaient surle ponton, et qui paraissait assez misérable, disaiten même temps à sa compagne:

—Pourvu qu'il y ait de la place tout auprèsde la chaudière et que nous puissions nous chaufferun peu!

Shoking n'avait jamais trop aimé la solitude,il était même bavard à ses heures.

Il entendit donc le voeu émis par la femme et,s'approchant d'elle:

—Vous pouvez vous rassurer, ma chère, dit-il,il n'y a jamais grand monde à bord, à cetteheure et par ce temps-ci.

—C'est que j'ai bien froid, dit-elle.

Shoking regarda les vêtements qui couvraientcette femme.

Une méchante robe de laine et un lambeaude châle: c'était tout.

Pas de bas aux pieds, une loque de chapeausur la tête et un pauvre fichu croisé sur le couet dissimulant sans doute l'absence de linge.

—Allez-vous loin? demanda Shoking.

—A Rotherithe, au-dessous du pont deLondres. Je serais bien allée à pied, car voiciprès d'un quart d'heure que j'attends le penny-boat,continua cette femme; mais je suis toutà fait lasse. J'ai marché tout le jour, aujourd'hui.

—Ah! vraiment? fit Shoking qui ne demandaitpas mieux que de causer.

—Je suis allée trois ou quatre fois depuisce matin du Southwark, qui est mon quartier, àla Cité.

—Quatre bonnes trottes, dit Shoking; celafait au moins huit ou neuf milles, en comptantl'aller et le retour.

—A peu près, dit la femme.

Puis elle ajouta avec un soupir:

—Et tout cela pour rien.

Le penny-boat arrivait en ce moment, et ilaccosta le ponton.

Shoking n'eut donc pas le temps de questionnerla femme sur le but de ces quatre voyagesaccomplis en un jour.

Il sauta du ponton sur le petit bateau àvapeur où il y avait à peine une dizaine depersonnes, ce qui permit à la femme qui se plaignaitdu froid d'aller s'asseoir tout auprès dela chaudière.

Ce que voyant, Shoking s'assit auprès d'elleet recommença la conversation.

—Ah! dit-il, vous êtes allée quatre fois dansla Cité?

—Oui, monsieur et pour rien.

Shoking attendit qu'elle

...

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