[Extrait des Œuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, 5ème volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]
OU
DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS.
(Publié en 1773)
On lit dans la Correspondance de Grimm, mars 1771:
«M. Diderot, maître coutelier à Langres, mourut en 1759, généralementregretté dans sa ville, laissant à ses enfants une fortune honnêtepour son état, et une réputation de vertu et de probité désirableen tout état. Je le vis trois mois avant sa mort. En allant à Genève,au mois de mars 1759, je passai exprès par Langres, et je m'applaudiraitoute ma vie d'avoir connu ce vieillard respectable. Il laissa troisenfants: un fils aîné, Denis Diderot, né en 1713, c'est notre philosophe;une fille d'un cœur excellent et d'une fermeté de caractère peu commune,qui, dès l'instant de la mort de sa mère, se consacra entièrementau service de son père et de sa maison, et refusa, par cette raison, dese marier; un fils cadet qui a pris le parti de l'Église: il est chanoinede l'église cathédrale de Langres et un des grands saints du diocèse.C'est un homme d'un esprit bizarre, d'une dévotion outrée et à qui jecrois peu d'idées et de sentiments justes. Le père aimait son fils aînéd'inclination et de passion; sa fille, de reconnaissance et de tendresse;et son fils cadet, de réflexion, par respect pour l'état qu'il avaitembrassé. Voilà des éclaircissements qui m'ont paru devoir précéder lemorceau que vous allez lire.»
Le testament, si fâcheusement retrouvé, a servi de donnée à unepièce intitulée: Une Journée de Diderot, dont nous dirons quelquesmots dans la Notice placée en tête du Neveu de Rameau.
OU
DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS
Mon père, homme d'un excellent jugement, mais hommepieux, était renommé dans sa province pour sa probité rigoureuse.Il fut, plus d'une fois, choisi pour arbitre entre ses concitoyens;et des étrangers qu'il ne connaissait pas lui confièrentsouvent l'exécution de leurs dernières volontés. Les pauvrespleurèrent sa perte, lorsqu'il mourut. Pendant sa maladie, lesgrands et les petits marquèrent l'intérêt qu'ils prenaient à saconservation. Lorsqu'on sut qu'il approchait de sa fin, toute laville fut attristée. Son image sera toujours présente à mamémoire; il me semble que je le vois dans son fauteuil à bras,avec son maintien tranquille et son visage serein. Il me sembleque je l'entends encore. Voici l'histoire d'une de nos soirées,et un modèle de l'emploi des autres.
C'était en hiver. Nous étions assis autour de lui, devant lefeu, l'abbé, ma sœur et moi. Il me disait, à la suite d'une conversationsur les inconvénients de la célébrité: «Mon fils, nousavons fait tous les deux du bruit dans le monde, avec cettedifférence que le bruit que vous faisiez avec votre outil vousôtait le repos; et que celui que je faisais avec le mien ôtait lerepos aux autres.» Après cette plaisanterie, bonne ou mauvaise,du vieux forgeron, il se mit à rêver, à nous regarder avec uneattention tout à fait marquée, et l'abbé lui dit: «Mon père, àquoi rêvez-vous?
—Je rêve, lui répondit-il, que la réputation d'homme debien, la plus désirable de toutes, a ses périls, même pour celuiqui la mérite.» Puis, après une courte pause, il ajouta: «J'enfrémis encore, quand j'y pense... Le croiriez-vous, mes enfants?Une fois dans ma vie, j'ai été sur le point de vous ruiner; oui,de vous ruiner de fond en comble.
L'ABBÉ.
Et comment cela?
MON P BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!
Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!