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Paris.—Imprimerie de la Librairie Nouvelle, A. Bourdilliat, 15, rueBreda.
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PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15
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A. BOURDILLIAT ET Cie, ÉDITEURS
La traduction et la reproduction sont réservées
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1859
A L'AUTEUR
CHER MAÎTRE,
Vous avez dédié un livre (les Soirées de l'orchestre) à vos bons amisles artistes de X***, ville civilisée. Cette ville (d'Allemagne,nous le savons) n'est pas plus civilisée que beaucoup d'autrestrès-probablement, malgré l'intention malicieuse qui vous a fait luidonner cette épithète. Que ses artistes soient supérieurs à ceux deParis, il est permis d'en douter, et quant à leur affection pour vous,elle ne peut, à coup sûr, être aussi vive ni aussi ancienne que lanôtre. Les choristes parisiens en général, et ceux de l'Opéra enparticulier, vous sont dévoués corps et âme; ils vous l'ont prouvémaintes fois de toutes les façons. Ont-ils murmuré de la longueur desrépétitions, de la rigueur de vos exigences musicales, de vosinterpellations violentes, de vos accès de fureur même, pendant lesétudes du Requiem, du Te Deum, de Romeo et Juliette, de laDamnation de Faust, de l'Enfance du Christ, etc.?... Jamais, jamais.Ils ont toujours, au contraire, rempli leur tâche avec zèle et unepatience inaltérable. Vous n'êtes pourtant pas flatteur pour les hommes,ni galant pour les dames, pendant ces terribles répétitions.
Quand l'heure de commencer approche, si le personnel du chœur n'estpas au grand complet, s'il manque quelqu'un, vous vous promenez autourdu piano comme le lion du Jardin des Plantes dans sa cage, vous grondezsourdement en mordant votre lèvre inférieure, vos yeux lancent de fauveséclairs; on vous salue, vous détournez la tête; vous frappez de temps entemps avec violence sur le clavier des accords dissonants qui indiquentvotre colère intérieure, et nous disent clairement que vous seriezcapable de déchirer les retardataires, les absents... s'ils étaientprésents.
Puis vous nous reprochez toujours de ne pas chanter assez piano dansles nuances douces, de ne pas attaquer avec ensemble les forte; vousvoulez que l'on prononce les deux s dans le mot angoisse et l'rdans la seconde syllabe du mot traître. Et si un malheureux illettré,un seul, égaré dans nos rangs, oublie votre observation grammaticale ets'avise de dire encore angoise ou traite, vous vous en prenez à toutle monde, vous nous accablez en masse de plaisanteries cruelles, nousappelant portiers, ouvreuses de loges, etc.!! Eh bien, nous supportonscela néanmoins, et nous vous aimons tout de même, parce que vous nousaimez, on le voit, et que vous adorez la musique, on le sent.
L'habitude française de donner la prééminence aux étrangers, lors mêmequ'il y a flagrante injustice à le faire, put seule vous porter à offrirvos Soirées de l'orchestre à des musiciens allemands.
C'est fait, n'en parlons plus