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1834.
Henri Zschokke,
Souvent je me suis rappelé l'émotion profonde que vous firentéprouver, en ma présence, la vue de la mer et l'aspect de ces êtreshardis qui se sont fait un métier d'en affronter les dangers. Lesimpressions d'un homme comme vous sont presque toujours des jugemensportés sur les objets qui les ont produites. Vous avez désiréconnaître les moeurs de ces marins, qui vous ont paru quelque chosede plus que des hommes ordinaires. J'ai passé ma jeunesse au milieud'eux: leur profession a été vingt ans la mienne. Placé aujourd'huien dehors de leur vie active, avec d'autres sensations et d'autrestravaux, j'ai voulu peindre, comme d'un point de vue favorable à unartiste qui a parcouru le pays, leur caractère aventureux, et leshabitudes de leur vie nomade, au milieu d'un élément dont ilsse sont fait une patrie. J'ai fait un roman, enfin, avec quelquesmatériaux d'histoire traditionnelle, et je vous le dédie, comme àun des patriarches du genre.
N'allez pas croire toutefois, Monsieur, que la réputation élevéeque vos ouvrages vous ont acquise soit le seul motif qui m'aitdéterminé à placer sous l'égide de votre supériorité un essaitrop peu digne de la protection que je semble vouloir lui chercher.Si j'avais connu un littérateur qui eût honoré plus que vous desfonctions publiques, ou un homme public qui eût porté, dansla littérature, un caractère plus pur et des prétentions plusmodestes, c'est à lui que j'aurais offert le faible hommage que jevous prie aujourd'hui d'agréer, avec la bienveillance dont vous avezbien voulu m'honorer.
Un jeune capitaine négrier, que j'avais connu à Brest dans monenfance, me rencontra, en 1818, à la Martinique. Il se mourait d'unemaladie incurable, contractée à la côte d'Afrique. «Si tu esencore ici quand je filerai mon câble par le bout, me dit-il dansle langage qui lui était ordinaire, tu ramasseras quelques paperassesque j'ai laissées au fond de ma malle. C'est le journal de ma vie deforban, écrit sur l'habitacle de ma goëlette, en style d'écumeurde mer. Tu m'arrangeras un peu tout ce barbouillage, en ayant soin decacher mon nom, par égard pour ma pauvre mère. C'est bien assez queje lui aie ravi tout ce qui la consolait de m'avoir mis au monde,sans que j'aille encore poursuivre les jours qui lui restent, dusouvenir d'un garnement comme moi.» Je ne compris que plus tard lesens de ces derniers mots.
Cinq jours après notre rencontre, mon ami négrier expira dans mesbras, chez une mulâtresse. Quelques minutes avant d'exhaler sondernier souffle, ses lèvres charbonnées murmuraient en