TABLE

UN PARI DE MILLIARDAIRES



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CONTES CHOISIS, traduits par Gabriel de Lautrec et précédés d’une étude sur l’humour1 vol.
EXPLOITS DE TOM SAWYER DÉTECTIVE, ET AUTRES NOUVELLES, traduits par François de Gail1 vol.

MARK TWAIN

Un
Pari de Milliardaires
ET AUTRES NOUVELLES

TRADUITS PAR
FRANÇOIS DE GAIL

QUATRIÈME ÉDITION




PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI

MCMV

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, ycompris la Suède et la Norvège.


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UN PARI DE MILLIARDAIRES

A l’âge de vingt-sept ans j’étais employé chez un courtier en mines deSan-Francisco et, sans me vanter, j’étais très au courant du maniementdes capitaux.

Seul au monde, je ne devais compter pour me sortir de l’ornière que surmes efforts personnels, et sur ma bonne réputation; ces deux atouts mesuffisaient d’ailleurs pour me mettre sur le chemin de la fortune, etj’avais confiance dans l’avenir.

Comme je disposais généralement de mes après-midi du samedi, j’enprofitais pour faire des parties de canotage à la voile tout autour dela baie. Un jour, je m’aventurai trop loin et fus entraîné vers la hautemer. La nuit approchait, et je commençais à perdre tout espoir; lebonheur voulut que je fusse recueilli par un petit brick qui faisaitroute sur Londres. Le voyage fut long et tourmenté; on me fit gagner mon{8}passage en m’employant au service du pont. Quand je descendis à terresur le sol anglais, mes vêtements étaient en loques et complètementusés; pour toute fortune, j’avais un dollar en poche qui me permit de nepas mourir de faim le premier jour; je passai le jour suivant sansmanger et sans abri.

Le troisième jour, vers dix heures du matin, exténué et mourant du faim,je me traînais péniblement dans Portland Place, lorsque je croisai unbébé qui donnait la main à sa gouvernante; à deux pas de moi il laissatomber dans la rigole une magnifique poire à laquelle il avait donné unpetit coup de dent. La vue de ce fruit souillé de boue n’en excita pasmoins ma convoitise; je la dévorais des yeux; l’eau me vint à la boucheet mon estomac fit entendre à ce moment un appel désespéré. Je mouraisd’envie de ramasser cette poire, mais toutes les fois que j’esquissaisle mouvement de me baisser, je rencontrais le regard indiscret d’unpassant; alors, me sentant pris de honte, je faisais semblant de ne mêmepas songer à cette poire. Mon supplice se prolongea si bien que,finalement, je dus renoncer à ramasser ce fruit. Au moment où mondésespoir était à son comble et où j’allais transiger avec le sentimentde honte qui me retenait, une fenêtre s’ouvrit derrière moi et je{9}m’entendis appeler par un monsieur qui me cria: «Montez par ici, s’ilvous plaît!»

Un valet de chambre en grande livrée m’introduisit dans une piècesomptueuse où deux messieurs d’un certain âge étaient assis. Ilsrenvoyèrent le domestique et me firent

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