
TABLE DE MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE DEUXIÈME
CHAPITRE TROISIÈME
Le texte dactylographié du présent, qui forme le tome VI d'À larecherche du temps perdu, nous avait été remis par Marcel Proust peude temps avant sa mort. La maladie ne lui ayant pas laissé la force decorriger complètement ce texte, une révision très soigneuse sur lemanuscrit en fut entreprise après sa mort par le Dr Robert Proust et,par Jacques Rivière. C'est le résultat de ce travail, où nousespérons qu'un minimum d'imperfections se laissera découvrir, que nouspublions aujourd'hui.
L'ÉDITEUR.
Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d'avoirvu, au-dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance étaitla raie du jour, je savais déjà le temps qu'il faisait. Les premiersbruits de la rue me l'avaient appris, selon qu'ils me parvenaientamortis et déviés par l'humidité ou vibrants comme des flèches dansl'aire résonnante et vide d'un matin spacieux, glacial et pur; dès leroulement du premier tramway, j'avais entendu s'il était morfondu dansla pluie ou en partance pour l'azur. Et, peut-être, ces bruitsavaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation plusrapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, yrépandait une tristesse annonciatrice de la neige, ou y faisaitentonner, à certain petit personnage intermittent, de si nombreuxcantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pourmoi, qui encore endormi commençais à sourire, et dont les paupièrescloses se préparaient à être éblouies, un étourdissant réveil enmusique. Ce fut, du reste, surtout de ma chambre que je perçus la vieextérieure pendant cette période. Je sais que Bloch raconta que, quandil venait me voir le soir, il entendait comme le bruit d'uneconversation; comme ma mère était à Combray et qu'il ne trouvaitjamais personne dans ma chambre, il conclut que je parlais tout seul.Quand, beaucoup plus tard, il apprit qu'Albertine habitait alors avecmoi, comprenant que je l'avais cachée à tout le monde, il déclaraqu'il voyait enfin la raison pour laquelle, à cette époque de ma vie,je ne voulais jamais sortir. Il se trompa. Il était d'ailleurs fortexcusable, car la réalité même, si elle est nécessaire, n'est pascomplètement prévisible. Ceux qui apprennent sur la vie d'un autrequelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne lesont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l'explication dechoses qui précisément n'ont aucun rapport avec lui.
Quand je pense maintenant que mon amie était venue, à notre retour deBalbec, habiter à Paris sous le même toit que moi, qu'elle avaitrenoncé à l'idée d'aller faire une croisière, qu'elle avait sachambre à vingt pas de la mienne, au bout du couloir, dans le cabinetà tapisseries de mon père, et que chaque soir, fort tard, avant de mequitter, elle glissait dans ma bouche sa langue, comme un painquotidien, comme un aliment