JOHN RUSKIN

SÉSAME ET LES LYS

DES TRÉSORS DES ROIS
DES JARDINS DES REINES

TRADUCTION, NOTES ET PRÉFACE
PAR

MARCEL PROUST

PARIS
SOCIÉTÉ DU MERCURE DE FRANCE
XXVI, RUE DE CONDÉ, XXVI
MCMVI

TABLE

PRÉFACE DU TRADUCTEUR
Sur la lecture

SÉSAME
Des Trésors des Rois
II. LES LYS
Des Jardins des Reines


PRÉFACE DU TRADUCTEUR[1]

SUR LA LECTURE

À Madame la Princesse Alexandrede Caraman-Chimay, dont lesNotes sur Florence auraient faitles délices de Ruskin, je dédie respectueusement,comme un hommage de ma profonde admirationpour elle, ces pages que j'ai recueilliesparce qu'elles lui ont plu.

M. P.

Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons sipleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre,ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui,[Pg 7]semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartionscomme un obstacle vulgaire à un plaisir divin: le jeu pour lequel unami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l'abeille oule rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de lapage ou à changer de place, les provisions de goûter qu'on nous avaitfait emporter et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans[Pg 8]y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait deforce dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer etpendant lequel nous ne pensions qu'à monter finir, tout de suiteaprès, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dûnous empêcher de percevoir autre chose que l'importunité, elle engravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plusprécieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avecamour) que, s'il nous arrive encore aujourd'hui de feuilleter ces livresd'autrefois, ce n'est plus que comme les seuls calendriers que nousayons gardés des jours enfuis, et avec l'espoir de voir reflétés surleurs pages les demeures et les étangs qui n'existent plus.

Qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps desvacances, qu'on allait cacher successivement dans toutes celles desheures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pourpouvoir leur donner asile. Le matin, en rentrant du parc, quand toutle monde était parti «faire une promenade», je me glissais dans la salle àmanger, où, jusqu'à l'heure encore lointaine du déjeuner, personnen'entrerait que la vieille Félicie relativement silencieuse, et où jen'aurais pour compagnons, très respectueux de la lecture, que lesassiettes peintes accrochées au mur, le calendrier dont la feuille dela veille avait été fraîchement arrachée, la pendule et le feu quiparlent sans demander qu'on leur réponde et dont les doux propos videsde sens ne viennent pas, comme les paroles des hommes, en substituer un[Pg 9]différent à celui des mots que vo

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