ARIOSTE
Traduction nouvelle
PAR
FRANCISQUE REYNARD
TOME PREMIER
PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
27-31, PASSAGE CHOISEUL, 27-31
M DCCC LXXX
Il a été tiré de ce livre :
40 | exemplaires sur papier de | Chine. |
40 | — | Whatman. |
Tous ces exemplaires sont numérotés et paraphés par l’éditeur.
Si Arioste ne nous avait laissé que sescomédies et son livre de satires, quelque soit le mérite de ces ouvrages,de quelque renommée qu’ils aientjoui jadis, il est certain que le nom deleur auteur serait depuis longtemps sinon oublié,du moins confondu dans la foule des écrivainsde son époque : les Berni, les Trissin, les Bembo,les Molza, les Sadolet, les Alamani, les Rucellaï,et tutti quanti. Heureusement pour Arioste etpour nous, son poème de Roland furieux l’a mishors rang, à ce point que Voltaire, après l’avoirtout d’abord proclamé l’égal de Virgile, finitpar le placer au-dessus d’Homère. Ne va-t-il pasjusqu’à dire, dans son Essai sur le poème épique,à l’article Tasse : « Si on lit Homère par uneespèce de devoir, on lit et on relit Arioste pourson plaisir. » Le blasphème est manifeste. Homèreest le poète souverain auquel nul ne sauraitêtre égalé. Il s’avance en tête de tous les autres« comme un Sire, » pour employer l’expressionsi belle et si juste de Dante. Mais si l’auteurde Roland doit s’incliner devant le créateur del’Iliade et de l’Odyssée, « cette source qui épancheun si large fleuve[1], » il peut marcher de pairavec les plus grands et les meilleurs.
[1] Divine Comédie, de l’Enfer, chap. I, verset 27.
Le Roland furieux est, en effet, un des joyauxde la pensée humaine. Il a l’éclat et la solidité dudiamant, comme il en a la pureté et la rare valeur.C’est une de ces œuvres charmantes et fortesqui ont le privilège de traverser les âges sansprendre une ride, toujours plus jeunes, pluséblouissantes de fraîcheur et de vie à mesureque les années s’accumulent sur leur tête. Ellessont immortelles de naissance, ayant reçu dansleur berceau ce don de vérité éternelle que legénie seul possède.
Le sujet en est multiple. Arioste nous le ditlui-même dès le premier vers : « Les dames, leschevaliers, les armes, les amours, les courtoisies,les entreprises audacieuses, voilà ce que jechante. » Et durant quarante-six chants, qui necomptent pas moins de quarante mille vers, ilpoursuit imperturbablement le programme annoncé,sans la moindre fatigue pour lui, et auperpétuel enchantement de ses lecteurs, « avecune grâce égale, en vers pleins et faciles, riantscomme les campagnes d’Italie, chauds et brillantscomme les rayons du jour qui l’éclaire, etplus durables que les monuments qui l’embellissent[2] ».Soit qu’il nous entraîne à la poursuited’Angélique qui fuit le paladin R