Produced by Michael John Wooff

L'esquisse mystérieuse

par Erckmann-Chatrian

New York

HENRY HOLT AND COMPANY

1899

Copyright 1899,

BY

HENRY HOLT & CO.

I

En face de la chapelle Saint-Sébalt, à Nuremberg, s’élève une petiteauberge, étroite et haute, le pignon dentelé, les vitres poudreuses, letoit surmonté d’une Vierge en plâtre. C’est là que j’ai passé les plustristes jours de ma vie. J’étais allé à Nuremberg pour étudier lesvieux maîtres allemands; mais, faute d’espèces sonnantes, il mefallut faire des portraits…et quels portraits! De grosses commères,leur chat sur les genoux, des échevins en perruque, des bourgmestresen tricorne, le tout enluminé d’ocre et de vermillon à plein godet.

Des portraits je descendis aux croquis, et des croquis aux silhouettes.

Rien de pitoyable comme d’avoir constamment sur le dos un maîtred’hôtel, les lèvres pincées, la voix criarde, l’air impudent, qui vientvous dire chaque jour: «Ah, çà! Me payerez-vous bientôt, monsieur?savez-vous à combien se monte votre note? Non, cela ne vous inquiètepas… Monsieur mange, boit et dort tranquillement… Aux petitsoiseaux le Seigneur donne la pâture. La note de Monsieur se monteà deux cents florins et dix kreutzer… ce n’est pas la peine qu’on enparle.»

Ceux qui n’ont pas entendu chanter cette gamme ne peuvent s’enfaire une idée; l’amour de l’art, l’imagination, l’enthousiasme sacrédu beau se dessèchent au souffle d’un pareil drôle… Vous devenezgauche, timide; toute votre énergie se perd, aussi bien que lesentiment de votre dignité personnelle.

Une nuit, n’ayant pas le sou, comme d’habitude, et menacé de laprison par ce digne maître Rap, je résolus de lui faire banquerouteen me coupant la gorge. Dans cette agréable pensée, assis sur mongrabat en face de la fenêtre, je me livrais à mille réflexionsphilosophiques, plus ou moins réjouissantes. Je n’osais ouvrir monrasoir, de peur que la force invincible de ma logique ne m’inspirâtle courage d’en finir. Après avoir bien argumenté de la sorte, jesoufflai ma chandelle, renvoyant la suite au lendemain.

Cet abominable Rap m’avait complètement abruti. Je ne voyaisplus, en fait d’art, que des silhouettes, et mon seul désir étaitd’avoir de l'argent, pour me débarrasser de son odieuse présence.Mais cette nuit-là, il se fit une singulière révolution dans monesprit. Je m’éveillai vers une heure, je rallumai ma lampe, et,m’enveloppant de ma souquenille grise, je jetai sur le papier unerapide esquisse dans le genre hollandais…quelque chosed’étrange, de bizarre, et qui n’avait aucun rapport avec mesconceptions habituelles.

Figurez-vous une cour sombre, encaissée entre de hautes muraillesdécrépites… Ces murailles sont garnies de crocs, à sept ou huitpieds du sol. On devine, au premier aspect, une boucherie.

A gauche s’étend un treillage en lattes; vous apercevez à travers unbœuf écartelé, suspendu à la voûte par d’énormes poulies. De largesmares de sang coulent sur les dalles et vont se réunir dans une rigolepleine de débris informes.

La lumière vient de haut, entre les cheminées, dont les girouettes sedécoupent dans un angle du ciel grand comme la main, et les toits desmaisons voisines échafaudent vigoureusement leurs ombres d’étageen étage.

Au fond de ce réduit se trouve un hangar…sous le hangar un bûcher,sur le bûcher des échelles, quelques bottes de paille, des paquets decorde, une

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!