HISTOIRE
D'UNE MONTAGNE

PAR
ÉLISÉE RECLUS

[J H]

BIBLIOTHÈQUE
D'ÉDUCATION ET DE RÉCRÉATION

J. HETZEL ET Cie, 18, RUE JACOB
PARIS

Tous droits de traduction et de reproduction réservés.

CHAPITRE I
L'ASILE

J'étais triste, abattu, las de la vie. La destinéeavait été dure pour moi, elle avait enlevédes êtres qui m'étaient chers, ruiné mes projets,mis à néant mes espérances. Des hommesque j'appelais mes amis s'étaient retournéscontre moi en me voyant assailli par le malheur;l'humanité tout entière, avec ses intérêtsen lutte et ses passions déchaînées, m'avaitparu hideuse. Je voulais à tout prix m'échapper,soit pour mourir, soit pour retrouver,dans la solitude, ma force et le calme de monesprit.

Sans trop savoir où me conduisaient mespas, j'étais sorti de la ville bruyante, et je medirigeais vers les grandes montagnes dont jevoyais le profil denteler le bout de l'horizon.

Je marchais devant moi, suivant les cheminsde traverse et m'arrêtant le soir devantles auberges écartées. Le son d'une voix humaine,le bruit d'un pas, me faisaient frissonner;mais, quand je cheminais solitaire, j'écoutaisavec un plaisir mélancolique le chantdes oiseaux, le murmure de la rivière et lesmille rumeurs échappées des grands bois.

Enfin, marchant toujours au hasard parroute ou par sentier, j'arrivai à l'entrée du premierdéfilé de la montagne. La large plainerayée de sillons s'arrêtait brusquement aupied des rochers et des pentes ombragées dechâtaigniers. Les hautes cimes bleues aperçuesde loin avaient disparu derrière des sommetsmoins hauts, mais plus rapprochés. A côté demoi la rivière, qui plus bas s'étalait en unevaste nappe, se plissant sur les cailloux, coulaitinclinée et rapide entre des roches lisses etrevêtues de mousses noirâtres. Au-dessus dechaque rive, un coteau, premier contrefortdes monts, dressait ses escarpements et portaitsur sa tête les ruines d'une grosse tour, quijadis fut la gardienne de la vallée. Je me sentaisenfermé entre les deux murailles; j'avaisquitté la région des grandes villes, des fuméeset du bruit; derrière moi étaient restés ennemiset faux amis.

Pour la première fois depuis bien longtemps,j'éprouvai un mouvement de joie réelle.Mon pas devint plus allègre, mon regard plusassuré. Je m'arrêtai pour aspirer avec voluptél'air pur descendu de la montagne.

Dans ce pays, plus de grandes routes couvertesde cailloux, de poussière ou de boue;maintenant j'ai quitté les basses plaines, jesuis dans la montagne non encore asservie!Un sentier, tracé par les pas des chèvreset des bergers, se détache du cheminot pluslarge qui suit le fond de la vallée et monteobliquement sur le flanc des hauteurs. C'estla route que je prends pour être bien sûr d'êtreenfin seul.

M'élevant à chaque pas, je vois se rapetisserles hommes qui passent sur le sentier dufond. Les hameaux, les villages, me sont àdemi cachés par leurs propres fumées, brouillardd'un gris bleuâtre qui rampe lentementsur les hauteurs et se déchire en route auxlisières de la forêt.

Vers le soir, après avoir contourné plusieursescarpements de rochers, dépassé de nombreuxravins, franchi, en sautant de pierre enpierre, bien des ruisselets tapageurs, j'atteignisla base d'un promontoire dominant auloin rochers, bois et pâturages. A la cimeapparaissait une cabane enfumée, et des brebispaissaient à l'entour sur les pe

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!